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17 janv. 2022

Quelques réflexions sur le Motu Proprio Traditionis Custodes

 Sermon pour le deuxième dimanche après l’Épiphanie 2022 

(on a conservé le style oral et l'absence de références et de notes)

 

    Celui qui suit le cycle des fêtes liturgiques forme spontanément, selon sa méditation, des rapports entre les différents dimanches. La fête de l’Épiphanie nous met devant les yeux qu’il n’est rien de plus beau que la volonté de Dieu. Non pas que nous soyons dans le meilleur des mondes possibles, ce qui est une impossibilité, mais que Dieu ne saurait faire mieux ce qu’il fait. Aussi, au milieu des complots des hommes le triomphe de l’Enfant Jésus resplendit dans les mages venus adorer à la crèche. Aujourd’hui encore la bonté de la volonté de Dieu s’exprime dans cette parole de la Sainte Vierge Marie à son fils : « Faites tout ce qu’il vous dira. » Cette parole s’adresse à tous les chrétiens depuis la fête des noces de Cana. Et il n’est pas de vie humaine authentique, ni authentiquement belle, qui ne soit un accomplissement de la volonté de Dieu, quelles que soient les vicissitudes de la route.

 

    En cette circonstance je souhaite vous adresser quelques mots à propos d’événements susceptibles de jeter le trouble en notre âme, quant à notre disponibilité à faire la volonté de Dieu.

 

    Je veux parler du motu proprio Traditionis custodes, du 16 juillet dernier, qui vient abolir toutes les dispositions antérieures encadrant l’exercice du culte traditionnel dans l’Église, et des réponses aux questions données par la congrégation pour le culte divin le 18 décembre 2021 à propos de l’application de ce premier document. Les responsasont ce que l’on pourrait rapprocher d’une circulaire dans l’administration. Elles viennent expliquer la portée d’un texte normatif. Cette procédure, classique en l’Église, consiste, pour la congrégation romaine sollicitée, à publier ses réponses aux questions qui lui sont posées, à cause de leur caractère d’intérêt général. Ces réponses doivent être présentées au pape, selon la procédure ordinaire, qui peut leur donner éventuellement une « approbation en forme spéciale » afin de leur conférer une autorité particulière, ce qui n’a semble-t-il pas été le cas dans ce document du 18 décembre.


    Dans leur teneur général, ces deux textes apportent une restriction considérable aux conditions d’exercice du culte selon les livres antérieurs à la réforme de Paul VI, surtout le second qui va bien au-delà du document de l’été. Concrètement, aucun sacrement ne pourra être donné selon ces rites en dehors de la messe, dont la célébration est elle-même considérablement restreinte.

 

    Or cela nous amène inévitablement à nous demander si nous faisons la volonté de Dieu en venant prier aujourd’hui à cette heure en cette église. Cette suspicion pèse d’autant plus lourd qu’il est affirmé que l’usage même du rite antérieur à 1969 inflige une blessure à l’unité de l’Église, et que sa tolérance n’aurait été qu’une concession temporaire de l’autorité devant l’extrême nécessité de personnes ayant besoin d’une rééducation. Les responsa en particulier évoquent « une concession pour pourvoir à leur bien » et précisent qu’un « on » indéfini « veillera à accompagner ceux qui sont enracinés dans la forme antérieure de célébration pour les amener à la pleine compréhension de la valeur de la forme que nous a donné la réforme du Concile Vatican II ». Un esprit un peu prévenu pourrait peut-être juger ces formules, par lesquelles sont rejetées dans les ténèbres extérieures ce qui hier encore était promu en même temps que ceux qui s’y attachent, d’une désinvolture confinant à l’arrogance. Le scandale pourrait alors se muer en colère, à moins que l’inquiétude ne tourne au désespoir.

 

    On ne peut tout dire en une fois, même dans un discours qui promet d’être long, je vous prie par avance de m’en excuser. Ainsi, je ne parlerai pas des raisons qui peuvent pousser tel ou tel, telle ou telle communauté, à avoir choisi la forme antérieure à la réforme post-conciliaire, pas plus que je ne discuterai du rapport entre la réforme liturgique demandée par le concile Vatican II et les nouveau livres liturgiques. Ces deux questions ne sont pas en jeu dans le problème qui nous occupe. Je ne dirais pas non plus tout ce qu’une étude attentive des deux documents cités pourrait amener de réflexion. Je voudrais simplement éclairer les raisons d’un sentiment de violence et d’injustice afin de clarifier le champ où chacun d’entre vous prendre la résolution qu’il jugera bon.

 

    Le problème qui nous occupe réside en ce que le droit d’hier est présenté aujourd’hui comme une concession et qu’immanquablement le soupçon se porte sur notre accomplissement de la volonté du Christ. Cette volonté que le Christ signifie à chacun est garantie par son Église, qu’il assiste pour qu’en elle les hommes soient conduits au salut éternel. Dans les matières qui intéressent tout le Corps mystique, l’autorité est compétente pour indiquer la voie à suivre.

 

    La liturgie est la manière dont l’Église adore et supplie Dieu. Elle est une prière intimement liée à la foi en notre Seigneur. Bien évidemment cette prière est amenée à se particulariser et à évoluer avec le développement de l’Église. L’autorité naturellement peut sanctionner un usage déviant, introduire des modifications. C’est ainsi que le pape saint Pie V a interdit au XVIe siècle les livres de moins de deux cents ans d’âge, par crainte des déviances doctrinales qu’ils étaient susceptibles de contenir pour généraliser à toute la chrétienté les livres romains vieux alors de neuf siècles, qui sont à peu près ceux que j’utilise. Il l’a fait à cause de la profession de foi que constitue le culte, par nature.

 

    Par parenthèse, notons qu’à cause de son statut d’expression de la foi, l’abolition d’un rite catholique est toujours problématique. Alors qu’en pratique dans les années 1970 la messe antérieure était bannie, le pape Benoît XVI a précisé en 2007 que les livres liturgiques de 1962 n’avaient pas été abolis.

 

    Ces péripéties, et l’incertitude qu’elles ne peuvent manquer de susciter dans l’esprit du catholique, nous ramènent à la question centrale qui se pose aujourd’hui à nous. Précisément à cause de ce lien entre la foi et le culte, il y a un engagement de l’autorité gouvernante et enseignante dans la liturgie donnée pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Une coutume développée localement, par quelque initiative individuelle est soumise au contrôle de l’autorité. Lorsqu’un missel cependant a été pendant des siècles la norme universelle de toute la chrétienté sans qu’aucune personne qualifiée par sa compétence et par son autorité enseignante n’en remette en cause l’orthodoxie, – je ne dis pas sans proposer de réforme, mais sans en contester l’orthodoxie et la sainteté –, l’Église s’est engagée. En raison de ce lien entre le culte et la foi, elle s’est engagée en matière où elle ne saurait revenir. Ce qui est un culte sanctifiant au XVIe siècle le sera au XXVIe.

 

    La question rebondit aussitôt, puisque l’Église peut tout aussi bien réformer, ce qu’elle a fait abondamment sous saint Pie X pour le bréviaire ou sous Pie XII pour la semaine sainte ou pour la fête de l’Assomption.

 

    Il faut donc s’interroger sur notre propre statut, ce qui fait que nous sommes là aujourd’hui. Ici également, les faits sont têtus.

 

    Les instituts comme la Fraternité Saint-Pierre, et bien d’autres, sont fondées sur des constitutions. Des documents qui leur fixent un but et en précisent l’esprit, selon la volonté des fondateurs. Or les documents qui sont à notre origine ne viennent pas d’une exigence présentée à l’autorité que celle-ci aurait concédée devant l’extrême débilité spirituelle de nos premiers confrères. Lorsque ceux-ci se sont présentés à Rome en 1988, alors qu’ils quittaient la Fraternité Saint-Pie X parce qu’ils estimaient ne pouvoir suivre Monseigneur Lefèbvre dans le sacre de quatre évêques sans mandat romain, ils ne savaient pas ce qui allaient leur arriver. L’abbé Coiffet que certains d’entre vous ont connu à Lanmeur nous a confié un soir qu’ils avaient aussi envisagé qu’ils seraient réduits à l’état laïc.

 

    Or grâce au cardinal Ratzinger et au pape Jean-Paul II, il n’en a pas été ainsi. La Fraternité Saint-Pierre a été fondée pour la sanctification des prêtres qui en seraient les membres, par l’usage des livres en vigueur avant la réforme de Paul VI et de la discipline associée. La fondation immédiate d’un séminaire, et l’approbation définitive de ces constitutions données par le Saint-Siège montrent assez que le pape entendait alors pérenniser l’œuvre de ces prêtres qu’il avait interpelé, toujours au témoignage de l’abbé Coiffet : « Voici mes prêtres qui sont restés fidèles. » Je n’entends pas plus ici polémiquer avec la Fraternité Saint-Pie X que lancer une discussion sur les raisons de notre attachement à la messe d’avant la réforme des années 1960. Je dis simplement que cette fondation a pour objet de permettre à des prêtres de s’engager pour servir Dieu. On ne s’engage pas « pour un certain temps ». Et, pour la raison que nous avons vu, cette liturgie bonne en 1988 n’a pas pu devenir mauvaise en 2021.

 

    Il est intéressant de noter que dans une conférence de presse donnée peu après le 18 décembre, Monseigneur Roche, le préfet de la congrégation du culte divin à l’origine des responsa, a répondu à un journaliste qui lui posait la question de nos instituts que ceux-ci relevaient de la compétence de la congrégation pour les religieux, d’après Traditionis custodes. Cette manière de botter en touche, pour pénible qu’elle puisse être, vient à l’appui de notre argument.

 

    Quoique cela ait une autorité bien moindre que ce dont je vous parle à l’instant, je voudrais vous signaler un fait singulier de notre fondation, dans le petit village allemand de Wigratzbad. En ce lieu, Marie s’est adressée à une jeune fille, mademoiselle Rädler. C’était à l’époque où le nazisme pesait sur l’Allemagne entretenant de noirs desseins contre le catholicisme, très fort dans les campagnes de cette région de Souabe. Les locutions de Wigratzbad sont reconnues par les évêques du lieu. Elles se présentent comme un soutien de l’espérance catholique devant le démon, et insistent sur la valeur de la pénitence pour la réparation des péchés. Elles contiennent aussi des prophéties. L’une d’elle, que je crains un peu d’évoquer parce qu’elle représente une lourde exigence, concerne la fondation d’un séminaire international rassemblant des prêtres du monde entier, qui œuvreront pour le bien. De nombreuses années plus tard, à la fondation de notre séminaire en 1988, l’évêque qui nous a installé a fait le lien explicite entre cette prophétie et ce qu’il était en train de faire.

 

    L’engagement de l’Église vaut pour chacun de nous autant que pour la communauté. Ainsi, si vous permettez une précision plus personnelle, vous dirais-je ici un mot de ma vocation, à titre d’exemple. A cette époque Benoît XVI encourageait la « forme extraordinaire », ce qui m’avait permis de la découvrir et réveillé en moi le désir du sacerdoce. Parmi les questions qui se posaient à moi avant mon entrée au séminaire, il y avait celle de savoir quelle messe je célébrerai si je devais la dire tous les jours. Un jour devant le chœur de Saint-Eugène, une église parisienne, la réponse a été claire pour moi. Avec tout cela je me suis présenté au séminaire, que je ne connaissais pas. J’ai soumis cela aux supérieurs, qui opéraient au nom de notre ordinaire. Je l’ai également soumis aux ordres mineurs comme aux ordres majeurs à trois évêques en tout. Dans les mains du dernier, le jour de mon ordination sacerdotale, j’ai promis l’obéissance. Ces trois évêques sont catholiques. Ils sont responsables dans l’Église des ordinations qu’ils donnent. Or je ne me suis pas engagé pour un temps, mais pour la vie, sous le sceau du serment. C’est à la fois mon devoir et mon droit : mon devoir comme la vocation de Dieu sanctionnée par l’Église, et mon droit comme le don du Seigneur transmis par les mains de l’évêque. Mais pour l’heure nos constitutions ne sont pas supprimées, et Monseigneur Roche concède que les responsa de sa congrégation ne nous concernent pas.

 

    Si je parle de moi, c’est surtout afin de parler de vous. Nous avons été ordonnés comme séculiers, pour nous consacrer au service des âmes dans des apostolats selon les caractères propres de notre communauté. Il n’y a pas de sanctification du prêtre s’il ne sert ceux auprès de qui il est envoyé. 

 

    C’est pourquoi, il faut ici être absolument clair : en assistant à la messe ce matin, vous ne faites rien de honteux, rien de méprisable, qui réclamerait une rectification (à cet égard en tout cas). Vous suivez une voie de sanctification vénérable dont la sainteté a la garantie pérenne de l’Église et dans laquelle vous vous êtes engagés de plein droit.

 

    Sur ce point, je voudrais encore retenir votre attention.

 

    Les faits sont, là encore, fort entêtés. Autant il est incertain qu’on puisse abolir une liturgie, autant il est certain que celle à laquelle vous participez ne vous a pas été donnée comme une concession. Le motu proprio Summorum pontificum de 2007, qui encadrait l’exercice de ce culte jusqu’à cet été, encourageait son extension. Tout prêtre pouvait en user et tout groupe stable de fidèle avait le droit d’en demander à son curé d’en bénéficier avec une réelle obligation pour lui de chercher à y pourvoir. Un organe de curie en avait la compétence. Nombre d’entre vous ont, comme moi, découvert ainsi cette prière de l’Église. Il ne s’agit en aucune manière d’une concession à des attardés.

 

    Lorsque vous êtes arrivés ici, que vous avez demandé les sacrements, vous n’avez pas douté les demander à l’Église, et c’est effectivement par l’Église que vous les avez reçus. C’est encore par les organes compétents de l’Église que nous avons été installés ici. Cette réalité, ni la nature de l’engagement de l’Église à votre égard, nulle autorité ne peut les changer.

 

    La paix soit donc avec vous. Quelle que soit votre décision personnelle devant les événements présents, il faut absolument que vous soyez assurés et paisibles : vous n’êtes ni des enfants à corriger, ni des malades à rééduquer, ni égarés à éclairer, ni des rebelles à réprimer. Vous êtes des fidèles de Jésus-Christ, vous êtes vraiment catholiques.

     

    Pour finir, je voudrais terminer par une dernière considération en revenant au sujet de scandale que j’avais évoqué en commençant. Vous l’avez compris, lorsque la parole de l’Église menace d’entrer en contradiction avec elle-même – Dieu nous l’épargne – la difficulté n’est pas d’être « tradi » et catholique, mais simplement d’être catholique. Devant les outrages injustes, voire les humiliations, les allégations erronées déstabilisantes, dans l’incertitude, la tentation est grande de se raidir en une attitude belliqueuse, de s’emporter dans la colère et finalement de se recroqueviller dans le désespoir qui, dès le départ, en aurait été le ferment. Telle est la tentation groupusculaire.

 

    Avec un peu de tristesse je dois confesser que je crains que ce soit précisément le plan de quelques progressistes méchants – car on n’est pas nécessairement méchant pour être progressiste – qui, selon le mot d’un confrère, auquel je reprends plusieurs réflexions proposées ici, ont projet « de nous enfermer en cage pour nous traiter comme des bêtes. » J’ai de bonnes raisons de croire que tel n’est pas le dessein du souverain pontife.

 

    Pour l’honneur de Dieu, et celui de l’Église, il convient absolument de rester dans la paix, et d’observer un strict surnaturel devant les événements et leurs protagonistes. Si la voie est difficile, pour une fois au moins, le devoir est clair pour faire « tout ce qu’il nous dira ».

 

    Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

 

Abbé Nicolas Télisson